En 2012, j’ai 18 ans et je viens d’avoir mon bac. Je travaille dans le centre social de ma ville, une structure qui a vu toute la ville grandir. Il y a écrit animatrice sur la fiche de paie mais bon, l’interdiction de faire rire les enfants est implicite, je suis supposée les aider pour leurs devoirs, j’y arrive non sans quelques grosses crises de fou rire. 

C’était mon premier jour et les collégiens avaient déserté, on m’avait donné en charge des CM1. Je crois qu’à ce niveau on a 10 ans, quelque chose comme ça, on est très jeune, trop jeune. Ils me reconnaissent parce que je suis la soeur de quelqu’un (oui, être malien ou d’un quartier c’est pareil, on n’est jamais juste soi) me donnent le respect dû pour cette raison et moi même je leur donnerais mon affection en retour. Dans ce groupe il y a une fille et elle est amoureuse, comme toutes les enfants de son âge, elle ne vit et respire que pour lui, c’est mignon et innocent jusqu’à ce qu’elle me confie que son amoureux voudrait qu’elle lui fasse une fellation

Non, elle n’a pas dit ça comme ça, mais je n’ai pas eu le temps de switcher du mignon au choquant qu’elle me disait qu’elle le ferait et qu’elle ferait plus encore. J’ai eu le droit aux bruitages, aux termes crus, je n’ai jamais vu à ce point ce que cette enfant a vu. J’ai simplement réussi à lui dire “ce n’est pas de ton âge” car on n’allait certainement pas s’assoir et discuter pratiques sexuelles, ses camarades sont choqués mais ils ont l’habitude, “laisse tomber elle est folle”, m’a dit l’un de ses copains. Ils riaient et elle continuait, son âge et son innocence lui faisant oublier que des choses comme ça relèvent de l’intime, en partant je ne suis que choc “comment j’étais au même âge ?” avant de partir, elle a désigné ma poitrine du doigt et m’a demandé “pourquoi toi tu as des seins et pas moi ?

10 ans seulement. Du coup quand en 2020, Maïmouna Doucouré décide de faire un film à propos des dangers de l’hypersexualisation des enfants, instagram, snap et tiktok existent, on ne peut plus faire semblant d’être choqués. Les filles de mon âge sont fascinées par l’argent facile et les petites les suivent, étudier et travailler semble ringard après tout c’est quoi, juste prendre mes fesses en photo

 

La bande annonce officielle de Mignonnes

Les petites twerkent sur des chansons qu’on met allègrement en légende sur nos photos et la réalisatrice se prend une shitstorm parce qu’elle a si bien réalisé la scène qu’elle est trop malaisante, les américains veulent que le film soit retiré de Netflix, certains pays musulmans le retirent aussi (car il donnerait une mauvaise image de la religion) bref, personne n’est content. Jusque là je défends le choix de la réalisatrice, choquez-vous, on parle de faits qui existent, d’hommes qui parlent de séduire au poids, de collégiennes qui sortent avec des personnes de 25 ans, d’enfants qui veulent grandir trop vite, de culte de l’argent qui mène à la prostitution. Oui, tout ça ! De nous aussi, comment nous n’avons rien dit, comment nous partons du principe que ce sera l’enfant ou la soeur de l’autre, comment nous avons défendu la liberté, la nôtre, puisque personne n’est tenu de nous suivre,nous ne sommes pas des exemples, ah ? Des choses qu’on a banalisées, je fréquente des internets où on a débattu des 700 euros par mois pendant au moins 5 mois, chacun y allant de son argument, la beauté de la fille, sa soumission, c’est le même débat chaque fois qu’on parle d’argent dans le couple, on ne paie jamais pour “rien”, un accord tacite que les deux parties doivent accepter.

Bref, Amy a seulement 11 ans et son père s’apprête à prendre une seconde épouse, c’est un sujet phare du travail de Maïmouna Doucouré dans lequel cette fois elle se mélange et se perd. Elle voit la souffrance de sa mère, le poids de la culture musulmane via sa tante et un autre modèle d’émancipation extrême via les Mignonnes, un groupe de copines de sa classe, c’est celui-là qu’elle choisira. Les Mignonnes sont innocentes et parfaitement conscientes de l’effet qu’elles font mais bien trop jeunes pour les retombées. 

La réalisatrice ne recule devant rien, Amy qui twerke, Amy qui regarde du twerk à la mosquée, Amy qui tente de sexuellement soudoyer son cousin, Amy qui twerke encore pour que les vigiles les relâchent, Amy qui prend une photo de ses parties intimes… oui à l’écrit cela peut sembler très brusque, oui nous avons beaucoup caché nos yeux au visionnage. Bref, Amy manque d’attention, si son père ne lui donne pas elle l’obtiendra ailleurs, il manque d’adultes dans ce film pour s’inquiéter dans le film car autrement personne ne se fait du souci pour ce groupe de petites filles qui arrivent dans des tenues indécentes, qui ont trop d’argent, qui se baladent sur des sites de rencontres, qui vrillent complètement. 

Le film est fort car il donne à voir et dans le même temps oublie de mettre le doigt sur le problème qu’il entend dénoncer (l’hypersexualisation) et ne jamais le dénoncer. Ainsi, on ne saura jamais comment Amy est tombée dedans, les scènes sont faites pour nous choquer, nous, le public déjà convaincu sur la question (“c’est de la faute à instagram”), mais est-ce que ce film vaut la peine d’être regardé avec votre petite soeur de 11 ans, votre enfant ? D’après moi, non…

Parce que le film manque de morale. Comme aucun adulte arrête nos Mignonnes, il n’y a personne pour dire explicitement “la voie que tu prends n’est pas la bonne, ce que tu cherches tu ne le trouveras pas en prenant cette route”, aucune discussion ne peut se faire sur l’impact des réseaux sociaux, la structure familiale, l’influence, la découverte de son corps et de sa féminité… Je l’ai trouvé incomplet, peut-être parce que même si l’oeuvre se concentre sur Amy, elle prend comme point central la polygamie de la mère et non pas la détresse de la fille…

Néanmoins, Mignonnes reste une jolie expérience psychologique pour adultes, voir à l’extrême ce que notre acceptation collective du sexe à outrance provoque chez les plus jeunes. Il faudra bien qu’on se penche sur ce qu’on renvoie comme image acceptable pour nos petites soeurs et nos petits frères… (et qu’on parle de la pédophilie des hommes qui pèsent au poids, parce que vos histoires de collégiennes plus matures que des personnes de 27 ans ça n’existe pas !)

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