Cela fait longtemps que je vous « dois » cette confession et j’ai longtemps hésité entre la faire à chaud (dès mon retour) voir en direct (pendant que je vivais les évènements) mais je pense que c’est meilleur avec beaucoup de recul.

Avant de continuer rappelons nous de la situation. Moi, Majoe, une fois en dormant ai accepté la demande de sa mère qui me disait « passe faire un tour au Mali » c’était une promesse mais je n’étais pas si pressée. Mes parents vivent au Mali, y ont construit une maison, y ont construit une école. Je viendrais la gérer pendant toute l’année. J’ai vécu à Paris l’écrasante partie de ma vie, vais en vacances à Bamako en moyenne tous les 1 an et demie. J’ai déjà passé une année scolaire à Bamako, j’étais en 5e. Je pense que tout est dit, mais vous pouvez aussi lire cet article au cas où.

En somme, je sors de Paris pour aller dans un de mes pays d’origine, je me retire déjà l’épine de la recherche d’emploi et de logement, tout va bien ! Ah bon ?

Vivre et y aller en vacances ce n’est pas pareil

Vous aviez peut-être l’attention et la bienveillance de vos cousins en tant que vacanciers, mais quand vous y vivez on ne vous pardonne rien. C’est normal et de très bonne guerre ; nous agissons absolument pareil en France, méchants avec ceux qui ont un accent, ignobles avec ceux qui font des fautes alors que paradoxalement notre niveau d’anglais (à l’échelle du pays) est déplorable. Parlez-vous votre langue natale comme il se doit ? Avez-vous un accent ? On va se moquer de vous… Oui ça peut être cruel (ça l’est) mais c’est un possible dans la liste des choses qui vont vous arriver. Pour ne pas trop prendre de coups, j’ai pris des guides qui connaissent mon impertinence, ma répartie et ma verve, ils me servent aussi à jouer les traducteurs et à me protéger de ma bouche… Ce sont eux qui me mettent des freins, car si à Paris c’est un style les réponses automatiques et les blagues salaces, à Bamako on est pudiques, donc…

Vous aviez l’habitude d’être draguée, c’était cool les amours de vacances… Briller parce que vous ne venez pas d’ici, vous sentir séduisante ? Rencontrez alors l’irrespect des hommes pour qui « parisienne » veut très souvent dire « fille facile » ! Écoutez bien vos proches quand ils vous parlent. Beaucoup de choses sont normales à Paris et très connotées dans nos pays ! Ne pensez pas qu’ils sont vieux jeu, souvent ce n’est pas le cas. Les gars vont se cacher derrière le comportement des Bamakoises qui seraient coincées… sur ce point là, si vous restez ou passez trop souvent, imitez-les !
En passant, à Paris on a le « se poser chez les gens » facile et même si ça n’engage en rien… n’allez pas faire comme moi et devoir fuir du piège que votre ami vous aurait fait qui se referme sur vous. Il m’aura dit « j’ai déjà forcé des filles mais je n’ai jamais violé personne » et je me suis demandé à quel moment me poser chez lui, si loin de chez moi, sans moyen sûr pour rentrer et surtout sans crédit était une bonne idée !

Non, ici ce n’est pas Paris. Les écouteurs, le manque de bonjour en entrant dans un lieu, le désir d’être seul est absolument impoli et incompris ici… Pour peu que votre entourage ne soit pas compréhensif, ça va être très fatiguant de faire avec tout le monde tout le temps. Pour ma part c’est connu que j’ai des tendances asociables, que je ressens très vite le besoin de m’isoler et que le monde me fatigue depuis Paris, je suis excusée pour cela. Les écouteurs tout le temps j’ai dû oublier et très vite régler mon problème de bonjour (c’était déjà impoli.)

Le qu’en dira t on me fera parfois craquer… La responsabilité me fera toujours faire attention, bah oui, quand on a des enfants de 3e, (14, 15 ans) on évite de par exemple les croiser en boîte de nuit, on travaille sa posture, on se construit une grosse carapace, même en étant leur cool directrice, leur bonne grande soeur, on doit être entre ça et celle qui peut entrer dans une salle de classe et leur crier dessus ! Faire plus peur que les professeurs… À mon jeune âge est-ce que c’est possible ?
Pour information, mes petites élites étaient polies, au Mali on respecte le corps enseignant. Sur toute une année scolaire je n’ai eu que très très peu de cas d’insolence. Le pire était un enfant qui avait écrit sur la moto de son professeur à la craie « l’homme fessu ». Non, le pire, à ma grande surprise, c’était leurs parents !
Je pouvais rire avec un enfant puis être chargée de remettre son père en place, je pouvais manger à la maison avec une cousine et dans l’intimité du bureau de la direction, être ferme sur le fait qu’elle devait s’acquitter du trimestre de ses enfants. Être catégorique même avec ma mère, je suis bien là pour une raison mais il faudrait me laisser faire, qu’importe le social, non ?

Finalement, on a défini que j’étais noire, mais plus dure qu’une personne blanche.

Parce que vous pouvez bien vous dire noir, africain autant que vous voulez, citer les travaux d’Anta Diop, décider de qui est « nègre de maison » qui ne l’est pas, retirer des blacks cards….
Si vous n’y vivez pas et que vous n’avez pas l’habitude d’y vivre, vous avez les habitudes d’un petit toubab… ne soyez pas fâchés nous sommes factuels, mais cela peut être douloureux…
Vous êtes noirs à Paris et vivez clairement une vie de noir. Vous arrivez à Bamako, et d’un coup vous êtes la blanche…

Vous avez fait beaucoup de choses pour éviter cela, mais ça se sent, ça se voit… ça se voit quand vous commandez votre sandwich, ça se voit quand vous êtes au marché, quand vous faites gaffe à où vous mettez vos pieds, ça se voit quand vous demandez à combien sont les pastèques, ça se voit dans les tenues que vous choisissez, ça se voit dans votre gêne quand on vous aborde, ça se voit dans votre non aisance au quotidien, ça se voit même dans votre posture face à la drague, ça se voit dans le port des écouteurs, dans votre manière de pianoter frénétiquement sur votre smartphone, ça se voit parce qu’en fait vous marchez vite, votre manière de toujours planifier, dans votre façon d’avoir des gigas internet mais pas de crédit, dans le port de vos cheveux naturels quand l’harmattan frappe, ça se sait !

L’accepter rendrait la suite moins compliquée, car en effet c’est en n’assumant pas cette partie-là que vous souffrirez…

En tant que toubab, vous n’allez jamais payer le juste prix et vous n’allez jamais vous rendre compte d’à quel point puisque vous persistez à diviser les prix par 650.
Par ce calcul, vous allez apprendre le prix de la connexion, le comparer avec les prix en France et trouver ça onéreux. Vous allez vous habituer à la lenteur d’internet, au fait de ne pas avoir de crédit. Une fois fait, nous allons arriver en mars, il va faire chaud et là les coupures de courant vont vraiment vous poser problème, vous causer de sérieuses insomnies. Vous allez connaitre son bruit tout autant que le bzz du moustique qui arrive juste après. Vous allez éteindre le climatiseur avant de vouloir repasser votre chemise. Vous allez charger vos batteries externes, votre ordinateur pour pouvoir recharger votre téléphone avec. Sur le trône, vous allez découvrir à vos dépends qu’en fait le surpresseur fonctionne à l’électricité… Je n’y avais alors jamais prêté attention… Parfois en pleine douche, le shampoing a demi rincé, de l’argile sur le visage, l’absence de courant va vous contraindre à annuler votre rendez-vous…

Si votre chauffeur vous lâche, vous allez dealer avec les taxis, pardon : vous allez laisser votre gardien dealer avec le taxi, car vous, vous habitez à un kilomètre du goudron da…
D’ailleurs vous allez apprendre la pertinence du terme « goudron da », à Paris la SNCF fait la grève, à Bamako vous remettez votre planning dans les bras du taxitigui qui va s’aventurer par chez vous et vous êtes très souvent en retard d’ailleurs….

Vous allez vous battre avec des bêtises car à Paris nous courons toujours après quelque chose. Le travail, les cours, aller chercher les enfants… Vous allez comprendre qu’à Bamako on ne court pas, que tout de suite ne veut pas dire immédiatement, que demain peut durer plusieurs jours. Vous allez courir après le photographe, après le chauffeur, après le taxi, après ce type qui doit se charger de vous faire la nationalité, même après votre date, vous allez courir après absolument tout… et vous essouffler ? Vous devez absolument rendre ces papiers sinon les enfants ne seront pas inscrits au DEF, ils vont redoubler, ce n’est pas souhaitable, non ? Continuez donc à courir…

Vous aurez des envies très bêtes, pour ma part c’était juste marcher, donc personne ne comprenait pourquoi je congédiais le chauffeur pour marcher le kilomètre qui me séparait de l’école à pied en pleine chaleur… C’était aussi le lèche vitrine, c’était se poser dans des parcs, les moustiques m’ont tellement piqué que ne pas avoir attrapé le palu relève du miracle.
J’ai recherché frénétiquement des viennoiseries, déception perpétuelle et de passage à Paris, donné 5 euros à Orly pour UN seul pain au chocolat. Je n’y ai vu aucun problème, c’est peut-être en ça que je suis toubab ?

Les boîtes de nuit vont finir par vous ennuyer et peu seront les personnes à vous suivre à la piscine (parce que ce n’est plus la saison, sauf Bamory, vrai gars), de plus vous allez commencer à prendre conscience du coût des choses (il était temps) et de comment il est anormal de gaspiller 50000 FCFA sur une seule journée. C’est que vous commencez à comparer votre train de vie avec le salaire des gens qui vous entourent.

Vous allez commencer à vous ennuyer, où peut-être que vos occupations vous auront coupé du monde, vous vous sentirez affreusement seul.e. Toutes les adaptations et les déceptions, les petites comme les très grandes vous donneront un soir envie de vous confier, mais à qui ?
Ceux qui vivent ici et qui vous prennent comme une étrangère, car vous l’êtes, ou ceux qui sont là-bas et qui n’ont jamais mis le pied ici et qui vous prendront comme une complexée ?

À un moment, vous aurez envie de prendre le premier vol et de rentrer « chez vous » vous allez le penser inconsciemment, Paris c’est chez moi, je veux « rentrer ».
Ce sera la preuve que vous ne vous sentez pas chez vous, c’est un aveu à vous-même…
L’ordinateur allumé, les 10 raisons qui font que je déteste Bamako écrite sur le traitement de texte, mais nous sommes tous responsables de l’image de nos pays, ce texte ne sera donc jamais publié, très souvent évoqué…
Pour chaque nuit où la frustration me berce, je me réveille et vais découvrir une autre face de la ville que je poste sur mes réseaux.

Je découvre que je suis une repatriée, je suis d’ici, mais je n’en viens pas, la première repat’ de mon entourage étant ma mère, je décide de l’interviewer.
Dans une longue discussion, je prends conscience de son courage. Elle avait quand même laissé son mari et ses quatre enfants pour fonder son école.
Elle nous avait dit que souvent le soir, elle fermait l’école, elle allait manger, et elle était seule à table,
elle montait se coucher et elle était seule, il n’y avait pas nos bruits et elle se sentait seule,
donc seule dans son lit il lui arrivait de pleurer.
Elle est née à Médine, elle a construit sa maison à Sotuba mais elle aussi parfois voulait rentrer « chez elle ».

J’ai posé la question à tout ceux que j’ai croisé pourquoi ils partent ? Souvent à la recherche de meilleures opportunités, souvent car ils n’ont pas les contacts que j’ai, pas les moyens financiers que je possède.
Je suis donc à Bamako et je veux rentrer, pourquoi ? Je demande à tout le monde pour pouvoir répondre à cette question, le blog existe déjà, je compile les premiers textes, tout en pensant qu’il nous faut des discours plus vrais sur le retour, pas plus péjoratifs, mais plus sincères, exit la peur du jugement, pendant ce temps j’ai étranglé mes mots et ils ont fini par faire tomber mes cheveux, j’ai donc tout rasé mais les plaques elles, refusent de disparaître.

Je n’attends plus sur personne, je pars un peu où je veux, le chauffeur a été remercié mais les taxis ne me surfacturent jamais.
J’ai décidé de ne pas choisir sur quelle chaise m’assoir, de ne pas m’excuser si le Val-de-Marne l’emporte parfois sur Bamako, parce que très souvent Bamako l’emporte sur Sainte-Anne.
S’ils ont pu dire « toubab » à ma mère qui suis-je pour ne pas l’être ? Je suis un jour sur l’île du Manguier, on me le crie de loin et je rigole, ça reste très vrai, ça se voit même quand je descends de la pirogue ?
Je suis chez moi ici, je suis chez moi dans le bureau, je suis chez moi quand je vais en vacances, je suis chez moi même quand pendant une longue escale je prends un hôtel,
et je ne m’excuse plus de vouloir faire fonctionner les choses comme je le veux chez moi.

C’est la fin de l’année scolaire. Mes élites stressent de leur examen, je suis une mère poule avec eux, tout en restant le grand méchant loup pour leurs tout autant méchants parents (ça ne se dit pas ? tant mieux parce que ça s’écrit très bien !) au téléphone on me demande si je suis disponible, parce qu’il s’agit d’aller couvrir un festival au Burkina Faso, bien sûr que je le suis !
Je retarde mon retour en France de deux semaines, je fais la remise des bulletins, je ferme l’école, les valises sont faites, mes élèves ont passé leur DEF, les bulletins sont bons, les professeurs ont présenté leurs doléances. C’est ma dernière réunion. Je vois le comptable partir, on ne va pas se revoir de sitôt et il me manque déjà. Pour que je sois à l’aise, chaque lundi il me faisait parvenir un carton de boissons énergisantes, Ghost, Bamory, les mangues au sortir de l’école, le « doumouni mona » de Youms, le fait même d’appeler Youma « Youms »… je suis déjà nostalgique.

Nous sommes en Juin, j’ai finalement fini par prendre mes marques.

L’aide ménagère connaît la différence entre cola et coca, la cuisinière cuisine trop souvent des dombrés, tout ce beau monde va me manquer, même le quartier va me manquer, je dis au revoir à tout le monde même à Chance, le salamandre qui se cache dans une des fissures de ma salle de bain, j’ai confié à Hadji la mission de découvrir si le restaurant à côté de chez moi ne cachait pas une maison de passe, il n’a pas été choqué parce que lui aussi a pris mes marques, je pars de chez moi.

J’ai décidé que j’irais peut-être vivre au Burkina, j’ai tout aimé même leurs voitures qui roulent au gaz, j’ai même voulu me prendre un vélo… C’était Bamako sans les yeux de ma famille, donc sans le qu’en dira-t’on, je trouvais ça intéressant.

L’avion survole la ville et je suis joie, j’en sors heureuse d’être de retour dans mon pays.

Je suis revenue une semaine plus tard. À l’aéroport, je suis allée dire au revoir au boutiquier comme si c’était mon meilleur ami. Je vais le regretter. Je vais regretter son service. Je vais le chercher à Paris sans jamais le trouver. Comme d’habitude, les petits carreaux du hall de mon bâtiment m’ont passablement énervée.
C’est l’été. « Paris est belle », je répète et ma mère en a assez, elle veux rentrer chez elle,
Elle n’arrive en fait plus à rester trop longtemps en France.
Paris est froide et belle, je prends le bus, le métro, le RER, ce sont les derniers jours de grève et je me souviens que j’avais un chauffeur mais pas que, j’y pense en lavant mon assiette, j’y pense en mettant mon linge à la machine.
Bamako est si chaude et si accueillante que l’air te fait un câlin quand tu descends de l’avion, Bamako est trop grande et je ne l’ai tellement pas découverte, Bamako me manque trop…

Ma mère a demandé à ce que je la remplace une nouvelle année, je lui ai dit de me laisser me trouver, je suis dans la communication et grâce à elle je sais à quoi cela ressemble de gérer une école, c’est ce qu’elle compte laisser, je ne peux plus ne pas revenir.

J’ai laissé des notes partout pour qu’elle puisse se retrouver dans le rangement que j’ai opéré dans son bureau qui en fait était devenu chez moi… L’école est fermée mais je pense à eux, je stresse, je n’ai plus aucun examen à passer à part le leur. Je comprends que quand on a dit que c’était le 5e enfant de ma mère, on avait vraiment visé juste, ce travail ne s’arrête pas quand les enfants rentrent chez eux ou quand ils sont en vacances… Mes 9e ont eu leur brevet et je jubile, les journaux parlent de nous car on a la plus jeune diplômée dans notre établissement. Je peux dire que c’est une bonne année.

Sur mon corps il n’y a plus aucune plaque, j’ai rasé ma tête une seconde fois.

Ma vie parisienne reprend là où je l’avais arrêtée mais plusieurs fois le doute m’attrape ; est-ce que je fais le bon choix ? Je suis donc à Paris et je veux rentrer, pourquoi ?

Parce que j’ai besoin en fait d’être constamment entre deux chaises…

La photo : Ousmane Makaveli ! Vous pouvez le suivre sur twitter c’est le même nom !

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