Ça fait un bon moment maintenant qu’existe le consommer noir challenge, une initiative qui exhorte les afrodescendants à privilégier les entreprises noires. En plus du hashtag (#Consommernoirchallenge) il existe aussi des annuaires. Nombreuses sont les personnes, notamment chez les nappys qui avant d’acheter un produit se renseignent afin de savoir s’il est «blackowned », c’est-à-dire si la marque est détenue par un(e) personne noire. C’est dire les efforts qui sont faits dans la communauté afin de connaître, de valoriser et d’enrichir les notres.
Lorsque nous commençons à discuter de nos entreprises, nous sommes souvent critiqués pour « manque de solidarité », alors qu’il s’agit souvent d’une expérience vécue : manque de politesse, manque de savoir-faire, boutique parfois en totale illégalité (bars clandestins, entreprise non déclarée…), vendeur/serveur qu’on retrouve en train de manger à la caisse ou au téléphone, qui hausse les sourcils, lève les yeux au ciel lorsqu’on lui demande une information, rayon vide ou pire, remplis de produits périmés. Il est important à mon sens de différencier le soutien aveugle de la réalité et de préciser quand quelque chose doit être amélioré (ne serait-ce que parce que certains proposent de bonnes choses et il serait dommage de les mélanger dans la critique.)
Il y a d’un côté, cette obligation tacite de consommer noir autant que faire se peut. Pour aider les « frères », développer une économie communautaire et être puissant à terme.
Il y a de l’autre la réalité de l’offre : les marques beaucoup trop simplistes dans ce qu’elles proposent, le mimétisme et surtout le manque de qualité car le service client est une aptitude à apprendre et à ne jamais négliger.
Bien sûr, il y a aussi le comportement des clients : oui, nous avons du mal à acheter des produits que nous connaissons, nous sommes généralement plus méfiants et exigeants avec un entrepreneur noir, ce qui lui rend la tâche plus ardue – Se faire connaitre ? Plaire ? Être rentable ? – Compliqué. Si c’est un couturier, nous avons ce toupet de penser qu’on peut le faire nous-mêmes (c’est-à-dire, prendre en photo le modèle et le faire coudre par un autre couturier… oui, nous devons aussi en parler, ça ne se fait pas, aurions-nous l’audace de recopier la combinaison vue chez Zara ?) C’est peut-être vrai que « fait à la main par des couturières maliennes » ne fait pas autant gage de qualité que « chaussures italiennes faites à la main » (il est donc temps de se remettre en question) et beaucoup d’entre nous se sont dit un jour, en voyant ce vêtement en wax « c’est beaucoup trop cher pour ce que c’est ! » – il est vrai qu’en tant que clients nous devons prendre conscience que certains de nos comportements sont problématiques.
Mais ça n’efface pas le problème qu’énormément de personnes remarquent. Les prix souvent gonflés « à la tête », la provenance parfois douteuse, les arnaques (en particulier dans la cosmétique), le manque de respect des entrepreneurs car ils ont décidé de viser une clientèle instagram, donc de miser sur leur impact potentiel et de négliger la clientèle lambda parce qu’inutile. Combien de restaurants et de coiffeurs se font épingler car la différence de traitement selon le client est flagrante : dans le premier cas un accueil chaleureux, des plats très bien présentés ou une coiffure très bien réalisée, dans l’autre du mépris, parfois même des insultes, et des prestations bâclées.
Combien d’entrepreneurs sont reconnus pour leurs services par des « influenceurs », tout en étant dans la liste des endroits où ne jamais aller du simple public ? Beaucoup trop.
D’ailleurs, cette question de qualité nous fait souvent oublier un détail qui pour moi est primordial : le business est black-owned mais est-ce qu’il emploie ? Dans beaucoup trop de cas, la réponse est non. C’est-à-dire que certains arrivent à comprendre l’importance de consommer noir pour leurs finances personnelles mais rechignent à payer à leur tour notamment en ce qui concerne la communication. Ils font constamment appel à des stagiaires qu’ils ne paient pas et à qui ils font miroiter monts et merveilles…
Lors de mes deux mémoires tout deux sur les questions noires j’ai pu m’apercevoir ô combien le discours public (solidarité entre noirs, consommer noir, blablabla) n’était pas le même en privé (la plupart connaissent très bien la détresse des étudiants et n’hésitent pas à en profiter). C’est hypocrite car la plupart des étudiants sont de futurs diplômés, de futurs talents qu’on refuse d’employer, de prendre en stage, ou même d’aider dans la rédaction d’un mémoire… La seule leçon qu’ils reçoivent de la part de ces entreprises c’est « tout, sauf une entreprise noire ». Le nombre d’histoires, entendues ou vécues de ces entreprises qui ne paient pas, prennent un stagiaire quand il faudrait en fait employer trois personnes… J’ai même eu un cas où un « je suis prête à payer je comprends l’importance de payer surtout que je suis un entrepreneur noir moi aussi » s’est transformé en « On m’a dit que je pouvais le faire moi même mais peut-être pourrions-nous vous prendre en stage » (alors qu’on avait négocié le coût de la prestation à moins de 400 euros, c’est-à-dire moins que la rémunération légale d’un stagiaire…)
Doit-on donc consommer obligatoirement afro lorsqu’on sait que pour la plupart des « entrepreneurs », le noir n’est qu’un tremplin ? Combien de business se construisent en communiquant vers nous pour in fine changer de cible et se déclarer pour tous tout en crachant au passage sur cette clientèle qui l’a rendue riche et célèbre ?
Vous l’aurez compris, pour moi, la réponse est NON ! Non, je ne consomme pas « noir » je privilégie la qualité – et lorsqu’elle est au rendez-vous je supporte totalement. De plus, étant passée par la recherche d’emploi ou de stage, une entreprise qui n’a aucune histoire de difficultés (je suis très gentille) avec le paiement ou d’abus de stagiaires ne peut que gagner des points à mes yeux car malheureusement il y a beaucoup de cas où droit d’ainesse se mélangent au professionnel pour mieux profiter des jeunes.
Une entreprise qui n’est pas capable d’employer des gens ne peut pas dire qu’elle influe dans le black business à mes yeux, elle profite simplement d’une dynamique (le hashtag #consommernoirchallenge et toutes les initiatives) sans renvoyer cette énergie (en employant ou en mettant en avant des talents – et l’un revient à l’autre dans ce cas-là).
C’est dommage, car pour beaucoup d’afro-entrepreneurs, le discours sur la solidarité afro n’est qu’hypocrisie !